La politique forestière de la métropole de Rouen


Enquête géohistorique

Publié le 19.06.2020


Image de synthèse présentant le projet "We hub", qui doit s'implanter dans la forêt du Madrillet, Seine-Maritime.
Image de synthèse présentant le projet "We hub", qui doit s'implanter dans la forêt du Madrillet, Seine-Maritime.

Depuis maintenant plusieurs semaines, un projet immobilier à proximité du campus universitaire du Madrillet sur la commune de Petit-Couronne (Seine-Maritime) suscite l’indignation de nombreux locaux. En cause, un défrichement total d’environ 60 hectares de forêt sans étude d’impact préalable et par conséquent, la destruction d’habitats naturels de certains animaux comme le lézard des souches. Ce projet, porté par la Métropole de Rouen a de quoi étonner dans la mesure où ces parcelles boisées vont accueillir un projet qualifié d’eco-friendly par ses promoteurs. Si la disparition d’habitats naturels, d’autant plus en milieu urbain est problématique, la situation devient encore très préoccupante à la lumière d’une étude géo-historique (1) non exhaustive des lieux d’implantation du projet immobilier en question.

 

 

Des forêts anciennes riches en biodiversité

 

Depuis 1820-1830, date du minimum forestier observé sur le territoire, la forêt française ne cesse d’augmenter en superficie, profitant notamment de la déprise agricole d’après-guerre et du Fond Forestier National établit par l’état en 1946. De fait, il est possible de distinguer deux types de forêts dans le paysage français actuel : « les forêts anciennes » qui préexistaient à ce minimum forestier associé au XIXe siècle et les forêts « récentes » qui sont apparus depuis (Dupouey et al., 2002). En d’autres termes, l’ancienneté d’une forêt renvoi non pas à l’âge des plus anciens peuplements actuels mais à l’ancienneté de la destination forestière du sol.

Fig1. La grande majorité des forêts domaniales de Normandie sont des forêts anciennes
Fig1. La grande majorité des forêts domaniales de Normandie sont des forêts anciennes

En France, on estime que seulement 30% des forêts sont anciennes mais surtout que la biodiversité qui l’accompagne, particulièrement sensible aux modifications du sol, est étroitement liée à cet état d’ancienneté (Cateau et al. 2015). De nombreuses études réalisées en Europe ont montré que cette ancienneté était un critère déterminant du fonctionnement des écosystèmes forestiers actuels (Dupouey et. al 2002). En somme, deux forêts de chênes en apparence similaire mais n’ayant pas le même degré de maturité ne posséderont pas le même niveau de biodiversité. D’autres études réalisées dans différents pays voisins ont montré que la flore des forêts anciennes était bien plus riche (40%) que dans les forêts récentes (Dupouey et al., 2002).

 

Comment identifier ces forêts anciennes ?

 

De façon générale, l’ancienneté d’une forêt s’observe par la consultation des cartes anciennes et notamment des cartes d’état-major (1818-1866) contemporaines du minimum forestier. Si la forêt est représentée sur la carte, on peut considérer que son emprise au sol n’a pas subi de changement d’affectation. C’est le cas par exemple pour la forêt du Madrillet-Rouvray (fig.2) que l’on peut clairement observer sur la carte en question.

Fig 2. Les forêts de la Londe et du Rouvray apparaissent sur la carte d’Etat major réalisée vers (1818-1866)
Fig 2. Les forêts de la Londe et du Rouvray apparaissent sur la carte d’Etat major réalisée vers (1818-1866)

Mais dans le cas des forêts domaniales qui sont pour la plupart d’anciennes forêts royales, le chercheur bénéficie de nombreux documents et de cartes plus anciennes qui ont guidés les aménagements forestiers passés. On retrouve par exemple à la Bibliothèque Nationale de France (Bnf) deux cartes de la forêt du Rouvray de 1674 et de 1735, repoussant l’ancienneté des forêts en question.

 

Qu’en est-il de la forêt en cours de défrichement ?

 

Si l’actuelle forêt du Madrillet ne fait pas partie de la forêt Domaniale de la Londe-Rouvray, elle en faisait partie à une date antérieur. Grace aux Systèmes d’Informations Géographiques (SIG) il est possible de reprojeter les cartes anciennes sur les cartes actuelles, permettant une comparaison entre les deux périodes. D’après la carto-interprétation, on observe que depuis 1674 la forêt du Rouvray ne cesse d’être « grignotée » à rebours de la dynamique actuelle de recolonisation forestière observée dans la plupart des massifs Français. De fait, si actuellement les parcelles de la future extension du campus apparaissent aujourd’hui comme étant à la marge du massif du Rouvray, elles se trouvait initialement au cœur du massif d’origine (fig.3).

Fig. 3 Les parcelles concernées sont situées au cœur de l’ancienne forêt royale du Rouvray, forêt ancienne. A) Superposition du plan de 1674 sur la carte TOPO IGN. B) Superposition du plan de 1735(plus précis que le premier) sur la carte TOPO IGN, les premiers défrichements ont lieu. C) Comparaison entre la surface forestière de 1735 et l’actuelle. Des défrichements importants ont lieu. D) L’emprise du projet contesté est située au cœur de l’ancienne forêt royale. Les parcelles concernées peuvent être associées à des forêts anciennes relictuelles.

Cette observation permet d’affirmer que les parcelles concernées par l’aménagement du projet immobilier, appartiennent au corpus des forêts anciennes puisque situées à l’intérieur de l’ancienne surface forestière de 1674 et de 1735. Si seul le document d’archive fait foi dans la désignation de l’ancienneté forestière, celle-ci reste un minimum puisqu’il est fort à parier que le massif forestier de la Londe-Rouvray soit bien plus ancien. Néanmoins, cette observation montre de façon très explicite que le sol forestier en cours de défrichement est en place depuis un minimum de 346 ans (1674-2020).

Des compensations irréalistes

 

Dans sa charte forestière de territoire, la Métropole de Rouen prévoit un dispositif compensatoire aux opérations de défrichements. L’aide perçue est de 40 %, plafonnée à 6000 € par hectare afin de favoriser les action de « défrichements-compensation ». En outre, ce document rend obligatoire le reboisement comme mesure compensatoire. Mais dans le cas des 60 ha du Madrillet, on se demande bien comment la Métropole va pouvoir compenser la disparition d’un sol forestier mature de plus de 300 ans. Concrètement, c’est tout à fait impossible. L’ancienneté du sol forestier est un indicateur de patrimonialité puisque la maturation des sols a favorisé la présence et le maintien d’une faune et d’une flore particulière que l’on ne retrouve pas dans les forêts récentes (Dupouey J.-L., 2002). Ces forêts constituent un patrimoine naturel à préserver dans la mesure où elles jouent un rôle d’habitat pour de nombreuses espèces mais également parce qu’elles présentent un intérêt tout particulier dans la régulation du cycle du carbone. D’après Mariane Rubio (2009) « le stock de carbone forestier est contenue à 70% dans le sol, et à 30% dans la biomasse ». En d’autres termes, si la couverture forestière importe peu, le sol forestier en revanche, d’autant plus s’il est ancien, est une composante essentielle dans la régulation du climat.

 

Grenwashing et copinage

 

De leur côté, les promoteurs se targuent que leur projet est le 1er en France à bénéficier du label BIODIVERCITY, reconnaissance internationale « , reconnaissance internationale « valorisant la prise en compte et la préservation de la biodiversité des projets immobiliers ». Le cahier des charges précise notamment que les projets soumis doivent impérativement « intégrer une connaissance du contexte biogéographique du projet ».

 

Ce label, est délivré par le Conseil International Biodiversité & Immobilier (CIBI), une association créée en 2013. Elle a pour but de « promouvoir la biodiversité urbaine dans le secteur de la construction, de l'immobilier et au-delà ». L’association valorise également « les meilleures pratiques en matière de biodiversité urbaine pendant les phases de planification, conception et exploitation du cadre bâti ; et ce dans le but de créer un espace de vie qui soit exemplaire en termes économiques, socioculturels et fonctionnels ».

 

On peut s’étonner au regard des informations biogéographiques apportés dans cet article – très faciles à obtenir et très bien documentées dans la littérature scientifique – que l’association ait labellisé aussi rapidement ce projet. Faut-il aller voir du côté de son président, Luc Monteil, directeur de Bolloré Logistics, dont l’entreprise est très bien implantée sur Rouen et ses environs ?

 

Mais le plus choquant reste que sur ce projet, la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO France), membre fondateur du CIBI ne se soit pas émue de ce projet destructeur, de même que le Muséum National d’Histoire Naturelle qui a apporté son soutien au CIBI dans la création du label BIODIVERCITY (fig.4). Peut-être que ces « grandes maisons » de la préservation de l’environnement ont de bonnes raisons de ne rien dire ou peut-être en sont-elles empêchées ! Sans doute faudra-t-il leur poser directement la question afin que ces organismes assument pleinement leurs positions sur ce projet.

Capture d'écran du site du CIBI : http://cibi-biodivercity.com/le-cibi/
Capture d'écran du site du CIBI : http://cibi-biodivercity.com/le-cibi/

 

Conclusion

 

En définitive, La Métropole de Rouen s’apprête à détruire 60 hectares d’une forêt ancienne malgré sa valeur hautement patrimoniale et écologique, reconnue par de nombreux travaux scientifiques à travers l’Europe. Peu importe le coût environnemental, l’empreinte carbone du défrichement et l’avis de citoyens indignés puisque l’attractivité justifie amplement les moyens. Dans un contexte de réchauffement climatique, d’artificialisation des sols, d’extinction de la biodiversité ce projet n’as pas lieu d’être. Jusqu’où iront ces défrichements ? Doit-on imaginer à l’horizon 2050 un morcellement encore plus important des espaces naturels Rouennais, un recul encore plus inquiétant des lisières forestières au détriment de la faune et de la flore comme de la qualité de vie des habitants ? Ce projet, ne viendrait-il pas en opposition avec un autre label affiché à l’entrée de nos massifs boisés, celui de « Forêts d’Exceptions » félicitant la gestion des forêts Rouennaise ? Ou bien est-ce seulement « l’exception » qui confirme la règle ?

 

Pour signer la pétition : https://www.change.org/p/m%C3%A9tropole-de-rouen-normandie-emp%C3%AAchons-la-destruction-de-la-for%C3%AAt-du-rouvray

 

(1) La géohistoire est une branche de la géographie qui étudie la construction de l’espace et notamment des milieux naturels sur la longue durée.

 

 

Bibliographie :

 

Cateau Eugénie, Larrieu Laurent, Vallauri Daniel, Savoie Jean-Marie, Touroult Julien, Brustel Hervé, Ancienneté et maturité : deux qualités complémentaires d’un écosystème forestier, comptes rendus biologies 338, 2015, [en ligne], consulté le 18/06/20, http://www.foretsanciennes.fr/wp-content/uploads/Cateau-et-al-2015-Anciennete-et-maturite-deux-qualites-complementaires-d-un-ecosysteme-forestier.pdf

 

CNPF, Forêts anciennes : un concept nouveau pour nos forêts de demain, 2014

 

Dupouey J.-L., Sciama D., Koerner W., Dambrine E., Rameau J.-C., La végétation des forêts anciennes, Revue Forestière Française, LIV, 2002.

 

Gaudain Sylvain, Les forêts anciennes : une notion nouvelle, conférence présentée à la société d’Etude des Sciences naturelles de Reims, le 18 Juillet 2013, [en ligne] consulté le 18/06/2020 http://sylvaingaudin.fr/PDF/Sesnr27-28-Forets_anciennes.pdf

 

Métropole de Rouen, Charte forestière de territoire de la métropole de Rouen Normandie, plan d’action 2015-2020, [en ligne], consulté le 18/06/20, https://www.metropole-rouen-normandie.fr/sites/default/files/documents/foret/CFT.pdf

Rubio Marianne, Forêt et cycle du carbone, Pollution atmosphérique – Numéro Spécial, 2009

Le site du Conseil International Biodiversité & Immobilier http://cibi-biodivercity.com/

 

 

Nicolas Blanchard, Doctorant en géographie, Université de Rouen Normandie

 

Thématiques de recherches :

Histoire environnementale des forêts Normandes / Utilisation des archives pour documenter les environnements passés /Archéologie en milieu forestier.